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« Le bonsaï est le meilleur thérapeute possible »

  Mistral Bonsai       06/03/2020
« Le bonsaï est le meilleur thérapeute possible »

Aujourd’hui, nous interviewons Milagros Rauber. Avec beaucoup de naturel et une créativité à fleur de peau, c’est un choix sûr pour aborder le côté féminin du bonsaï. Cette grande Maître vénézuélienne est une référence internationale dans l’art du bonsaï. Avec une vision claire et transparente, un parler facile, elle a une maîtrise impressionnante de la technique du bonsaï et de son exécution.

Milagros Rauber Herrera est née à Valencia, au Venezuela. Elle a commencé à se dédier au Bonsai en 1974. Trois ans plus tard, elle fondait, avec 7 autres personnes, la Sociedad Conservacionista y de Bonsái (Association de protection de la flore et de bonsaï). Considérée comme une référence dans le monde du bonsaï en Amérique latine, Milagros a participé à un grand nombre d’événements nationaux et internationaux à travers le monde. Elle a également été directrice de nombreuses expositions et coordinatrice générale de différentes Conventions Internationales sur le Bonsaï. Le bonsaï se conjugue définitivement au féminin dans cet article. Nous espérons que vous apprécierez l’interview que nous avons accordée à la Maître Milagros Rauber.

Comment s’est passé ton premier contact avec le monde du bonsaï ?

Conocarpus erctus - Mangle botoncillo

Plus ou moins vers 1972, dans un magazine, j’ai vu un reportage sur de petits arbres au Japon, appelés bonsaï. Quand je l’ai vu, j’ai été impressionnée et suis tombée amoureuse de ces petits arbres. J’ai commencé à imaginer les arbres de notre flore vénézuélienne, qui comprend de vraies merveilles. J’ai pensé à un Samán, qui est un immense et magnifique arbre des tropiques. Je l’imaginais déjà chez moi. Je me disais, je dois apprendre ça. J’ai commencé à chercher, mais à cette époque il n’y avait pas d’Internet et c’était très difficile. Finalement, à travers le club de jardinage, j’ai vu qu’un professeur venait donner un cours sur le bonsaï. Je me suis dit que je devais, par tous les moyens, l’apprendre. Et c’est en effet ce qu’il s’est passé. Le professeur John Naka est venu, avec qui j’ai noué une véritable amitié pour la vie. Et là est né cet amour pour le bonsaï.

Trois ans plus tard, tu as fondé la Sociedad Conservacionista y de Bonsái (Association de protection de la flore et de bonsaï) du Venezuela. Qu’est-ce qui t’y a poussée ?

Je viens d’une famille qui aime beaucoup la nature. Nous avons toujours eu des terrains agricoles et beaucoup de plantes à la maison. Quand j’ai commencé dans le monde du bonsaï et à connaître le bonsaï, j’ai réalisé que c’était bien plus qu’un petit arbre. J’ai commencé à redécouvrir la nature et à étudier chaque partie de l’arbre. Ainsi, j’ai pris conscience de la nécessité de prendre soin de la flore de notre pays. Avec un groupe de 7 personnes, nous avons décidé de créer une association de bonsaï et qui toucherait aussi à la conservation de notre environnement. L’association nous a donné l’opportunité de faire connaître internationalement notre flore tropicale, très riche et abondante, avec des choses magnifiques. C’est ainsi qu’est née la Sociedad Conservacionista y de Bonsái dans ma ville natale. Depuis lors, nous travaillons dur et sommes en contact avec d’autres associations de protection de la flore. C’est un beau et noble projet.

Que t’apporte le bonsaï pour que tu décides de t’y consacrer pleinement ?

Je suis une personne qui a toujours aimé l’art, tout au long de ma vie depuis que je suis petite. Je suis Balance, et en bonne Balance, je suis une personne organisée et très artiste. J’aimais la peinture et tout ce qui avait à voir avec l’art. Quand j’ai découvert le bonsaï, j’ai dit : c’est de la création, ça c’est pour moi. Là, j’ai commencé avec le bonsaï. Il est très difficile de penser à quelque chose en particulier qui m’a retenue dans le bonsaï. Il y avait la partie créative, la partie nature, et de plus les bonsaistes, nous sommes tous des écologistes nés. Lorsqu’un bonsaïste rencontre un autre bonsaïste, il sont déjà amis. Grâce au bonsaï, j’ai rencontré mes meilleurs amis au niveau national et international. J’ai rencontré des gens formidables aux quatre coins du monde. Cela m’a aussi fait voyager. Chaque fois qu’il y avait un congrès quelque part, je me rendais là-bas pour étudier le bonsaï.

Cette passion t’a beaucoup fait voyager. Parmi les endroits où tu es allée, lequel t’as le plus surprise et pourquoi ?

Je suis allée dans des endroits où je ne serais peut-être jamais allée. Quand il y avait un congrès de bonsaï ou que j’étais invitée à donner un cours, je me rendais dans les îles des Caraïbes, en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, à des milliers d’endroits. Mon rêve était, d’un jour, atteindre le Japon. Je le voyais si lointain, si inaccessible … Pendant mon séjour en Californie, les Maîtres Shingi Ogasawara et John Naka m’ont invitée à me rendre à la première Convention mondiale du bonsaï à Omiya, au Japon. Ça allait être un congrès mondial et ils m’ont dit que je ne pouvais pas le manquer. Ils m’ont invitée 10 ans à l’avance. Ce sont des gens très très organisés. Dix ans, c’est long, mais je me suis organisée et, j’étais là. Je suis allée avec la tournée de John Naka. Il m’a demandé de travailler pour la Fondation latino-américaine du bonsaï. Là-bas étaient en train de se former les différentes fédérations, celles d’Europe, d’Asie, d’Amérique du Nord, d’Amérique latine … et ainsi, ensemble, avec Solita Tafur, nous nous sommes mises au travail. Nous avons noué les premiers contacts jusqu’à la fondation de la Fédération latino-américaine de bonsaï. Sans aucun doute, le Japon est le pays qui m’a le plus impressionnée. C’était le rêve de ma vie. J’ai eu l’occasion d’y aller trois fois de plus et je continue de dire que c’est un pays qu’il faut visiter. On y trouve des gens incroyables. C’est un pays merveilleux. Je pourrais parler du Japon pendant des heures.

En Europe, mais aussi au Japon, nous avons l’habitude de voir plus d’hommes que de femmes dans le monde du bonsaï. J’ai entendu qu’au Venezuela ce n’est pas comme ça …

En réalité, en Amérique latine, du Mexique à la Patagonie, il y a toujours eu plus de femmes que d’hommes dans le monde du bonsaï. La raison en est peut-être qu’ils l’associaient plutôt aux clubs de jardinage. Les hommes, qui ont toujours été très machos en Amérique latine, l’associaient à une activité exclusivement féminine. Ils ne voulaient pas y entrer parce qu’ils pensaient que cela remettrait en question leur virilité. Mais cela a, heureusement, changé. Grâce au travail que nous, les femmes, avons fait pour promouvoir et diffuser le bonsaï, ils se sont rendu compte que c’est un art pour tout le monde. Aujourd’hui, je dirais que nous sommes à 50% d’hommes et 50% de femmes. Cela a changé et il y a beaucoup d’hommes qui ont trouvé dans le bonsaï une thérapie. C’est le meilleur psychiatre que les humains puissent avoir. Aux États-Unis, par exemple, il y a toujours eu plus d’hommes que de femmes. De plus, au Japon ils ont toujours dit que les femmes aidaient uniquement à arroser les plantes. Mais heureusement, au fil du temps, cette vision a changé.

En tant que référence dans le monde du bonsaï en Amérique du Sud, as-tu rencontré certaines barrières du fait d’être une femme ?

Clerodendon aculeatum -AmouretteNon, la vérité est que je n’ai jamais rencontré aucune sorte de barrière en tant que femme. Au contraire. Je pense que l’intelligence peut faire beaucoup. Chaque fois qu’on m’invitait à quelque chose, on savait que je m’y connaissais en bonsaï. Ils voyaient certaines de mes publications ou certains travaux et m’appelaient. Chaque jour qui passe, chaque voyage que tu fais, chaque nouvelle flore, te fait acquérir une expérience incroyable et grandir. Je n’ai jamais rencontré d’obstacles nulle part. Pas même au Japon, où il est plus difficile pour les Japonais de concevoir la présence de femmes dans le monde du bonsaï. Lors de ma première visite au Japon, Kasawara m’a invitée à apporter des photographies de mon travail pour une exposition. Je lui ai envoyé un de mes arbres et lui, avec fierté, a présenté l’arbre que j’avais fait en Amérique latine. Ils me regardaient comme si j’étais un extraterrestre, car pour eux, il est rare qu’une femme fasse du bonsaï.

 

Tu as écrit de nombreux livres au cours des dernières années. Duquel te sens-tu la plus fière ?

Au moment où j’ai commencé avec le bonsaï, Internet n’existait pas. Toutes les communications se faisaient par courrier, il fallait téléphoner, demander des communications à l’étranger … C’était tout un processus et nous n’avions pas assez d’informations. A ce moment-là peu de livres nous parvenaient. J’avais tous les livres que je rapportais des voyages, mais ils étaient en anglais. Il y avait vraiment un besoin de littérature en espagnol. J’ai commencé avec mes premiers livres en espagnol pour un niveau débutant, comme “El bonsái a su alcance” (Le Bonsaï à votre portée). Il est destiné aux personnes qui commencent. Cela m’a amené à écrire une série de cahiers pour chaque style et thème de bonsaï. Puis est venu « Le Bonsaï au Venezuela ». Pour moi, c’est le livre le plus important. Nous l’avons écrit, mon amie Mercedes Cuenca et moi. Il rassemble tous les thèmes en lien avec le bonsaï : botanique, styles, comment il se travaille, photographie, expositions … dans la quatrième partie, nous traitons de plus de 100 espèces botaniques travaillées en bonsaï. Tout cela, bien que je l’aie fait en 1984, reste toujours valable aujourd’hui. J’en suis très fière.

Et maintenant, as-tu un projet en vue ?

Oui, par coïncidence, il y a quelques jours, on m’a appelée d’Equateur. Je vais à Guayaquil et Cuenca. J’y vais depuis environ 10 ans. Ils m’ont appelée pour caler des dates, il n’y a encore rien d’arrêté, mais vers le milieu de l’année j’irai et resterai peut-être un mois entre les deux villes. Je passerai également par le Panama. Quand je vais en Equateur, cela entre toujours dans l’agenda.

Quelle figure t’a le plus inspirée et influencée ?

Sans aucun doute, les personnes qui m’ont le plus influencée ont été mes Maîtres vers l’année 76-77, John Naka et Toshio Saburomaru. C’étaient deux personnes qui m’ont vraiment beaucoup marquée. Tant quand ils sont venus au Venezuela, que quand je suis allée en Californie pour étudier avec eux et faire des ateliers. Eux, en plus d’être mes Maîtres, sont devenus mes amis. Nous étions toujours en contact et nous rencontrions aux Congrès. Au fil du temps, j’ai rencontré d’autres personnes comme le Français François Jeker. Nous avons noué une amitié incroyable depuis 20 ans. Il a un respect incroyable pour la nature. Il travaille le bois mort d’une manière merveilleuse. Au Japon, Toro Susuki, Kimura et QingQuan Zhao de Chine, que j’ai rencontré il y a de nombreuses années. C’est une personne d’une incroyable sensibilité. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à la Convention mondiale de 2017 au Japon.

Et si tu devais mentionner une femme …

Quand j’ai commencé à la fin des années 70, j’ai rencontré une dame d’Australie nommée Deborah Koreshoff. Nous nous sommes rencontrées lors de congrès et elle participait parfois en tant que démonstratrice. J’aimais sa façon de s’exprimer, de penser… J’ai un livre d’elle qui est merveilleux “Bonsai: Its Arts, Science, History and Philosophy”. Nous nous identifions dans sa façon de s’exprimer, comment elle traite les thèmes de bonsaï. Je l’admire beaucoup. Chaque fois que je dois recommander un livre, je recommande le sien car il en vaut vraiment la peine.

Et l’arbre le plus spécial que tu aies travaillé ?

Je suis de ceux qui disent qu’il n’y a pas de mauvais arbre pour faire du bonsaï. Vous devez expérimenter avec tous. Certains présentent une meilleure réduction des feuilles, d’autres se comportent mieux … il y a beaucoup de bonnes plantes, surtout dans les tropiques. Le traitement des plantes tropicales est totalement différent de celui des 4 saisons. Nous avons des espèces merveilleuses. Après avoir connu au Mexique l’Ahuehuete, qui est le Taxodium mucronatum, je dirais que c’est la meilleure plante pour faire du bonsaï. C’est un arbre qui depuis petit a une écorce incroyable. Il a une flexibilité qui vous permet de le bouger comme vous le souhaitez. Tu peux faire tous les styles. Depuis que je l’ai amené au Venezuela, nous adorons tous l’Ahuehuete. Il gagne la médaille d’or. Il est d’une telle malléabilité qu’il ne fait aucun doute qu’il est le meilleur de tous.

Ahuehuete (1)

Pour conclure avec cet entretien, quel conseil donnerais-tu à une personne qui souhaiterait débuter en bonsaï ?

Je lui dirais de ne pas hésiter. Qu’elle s’inscrive à n’importe quel cours qu’elle a sous la main pour faire ses premiers pas. Je suis sûre que si elle ressent de l’amour pour la nature, elle sera séduite. Si ça lui plait vraiment, je lui conseille de ne pas s’arrêter à ce premier cours et d’aller dans des clubs de bonsaï ou des pépinières où ils donnent des cours de bonsaï. Tout ce qu’elle trouve ! Il faut y aller petit à petit, en montant de niveau. Le bonsaï accroche, c’est passionnant. Mon père me disait : enfin tu trouves quelque chose que tu poursuis ! Avant, je me fatiguais toujours et abandonnais les expériences artistiques à la moitié. Le bonsaï est le meilleur thérapeute qu’on puisse avoir, il te détend, nous offre des moments très agréables.

Ne ratez pas l’occasion et allez faire du bonsaï.

Conocarpus erectus -Mangle botoncillo (Large)

 

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“L’art du bonsaï, c’est surtout des rencontres, des amitiés et beaucoup d’évènements à venir.”

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À propos de l’auteur

Mistral Bonsai

À Mistral Bonsai, nous sommes une équipe de communication, des techniciens et des maîtres engagés depuis le premier jour pour la diffusion de l’art merveilleux du bonsaï. Ce monde offre beaucoup de choses à partager. Nous croyons qu'un bonsaï est un arbre doté d'une âme unique et irremplaçable. Un autre de nos piliers les plus essentiels est, comment pourrait-il en être autrement, notre engagement étroit en faveur de la préservation de l’environnement et de la nature.